Valoriser le moi virtuel
Par Dr. Patrick Lynes
Les réseaux sociaux nous ont habitués à rechercher l’appréciation des autres en fonction du nombre de « j’aime » que nous parvenons à récolter. Cet « amour » est conditionnel à notre capacité à communiquer les « bonnes choses » qui ne déplaisent pas trop à ceux et celles à qui nous présentons notre image ou encore à la réalisation d’exploits ou l’expression d’affirmations extraordinaires qui, nous l’espérons, captivera l’auditoire.
La préoccupation de dire les « bonnes choses » ou de présenter systématiquement une belle image nous éloigne de la reconnaissance de ce que nous vivons réellement. Cette préoccupation de la mise en scène de soi où nous présentons sélectivement que ce que nous estimons désirable et attrayant est fort différente de l’affirmation de la réalité de ce que nous sommes. Si nous affichons un « soi idéal » au déni du « soi réel », nous devenons notre propre avatar extrêmement sensible à la moindre critique réelle ou perçue qui risque de fracturer l’image uniformément positive que nous voulons présenter aux autres.
Une personne qui a une identité plus affirmée et qui s’apprécie avec ses forces et ses vulnérabilités peut s’ouvrir au débat, à la critique et peut même être capable d’autodérision à l’occasion. Tandis que la personne qui se définit seulement dans le regard des autres deviendra extrêmement réactive à la moindre allusion ou impression de menace à son image, et voudra faire disparaître les personnes ou les idées qui la dérangent. Pris en otage par l’odieux chantage de la
menace de retrait d’amour, cet individu ne vit que dans la terreur de voir sa cote d’estime virtuelle disparaître à tout instant et avec elle, son sentiment de valeur personnelle. Un tel individu adoptera une vision du monde tranchée où il y a les « bons » dont il fait partie et les « méchants » qui ne voient pas les choses comme lui. Tout comme il préfère son image à son soi réel, il préfère le monde tel qu’il devrait être à la réalité de ce qu’il est.
Cette virtualisation de la conception de nous-mêmes et du monde nous éloigne de notre réalité organique. Elle génère de l’anxiété, de la dépression, un sentiment de manque permanent qu’elle comble partiellement tout en l’alimentant. Nous survolons le monde, mais n’y habitons plus.
Il importe de renouer avec une appréciation réelle de nous-mêmes avec nos forces et nos limites pour pouvoir progresser, pour ressentir les possibilités qui s’offrent à nous et pour rencontrer des gens différents qui peuvent partager des intérêts communs avec nous, soit de réaliser que la réalité telle qu’expérimentée est infiniment plus riche et adaptative que la représentation virtuelle et figée que l’on peut s’en faire. Et puis, pour que s’établisse une relation significative, cela prend au moins deux personnes. Soit l’autre et puis soi-même. Si un avatar tient lieu de soi-même, la relation risque de demeurer superficielle et de se limiter à la confirmation ou au discrédit de ce personnage factice et circonscrit qui tient lieu de soi-même sans possibilité de développement, sans possibilité de conciliation des points de vue.